Sauver l’École : pas en épuisant les enseignants !

Lettre ouverte d’un professeur de sciences économiques du secondaire supérieur, soutenue par des collègues d’autres écoles et disciplines

 

Mesdames les Ministres Glatigny et Degryse,
Mesdames et Messieurs les Députés de la Fédération Wallonie-Bruxelles,

Quand un système ne tient plus que par la fatigue de ceux qui le portent, ce n’est plus un équilibre, c’est une illusion.
Si la Fédération Wallonie-Bruxelles ne peut plus financer ses enseignants, ce n’est plus une question d’heures :
c’est une question de priorités.
De ce que nous voulons, ou non, continuer à appeler une société.

Il est des réformes qui ne se jugent pas à leurs chiffres, mais à ce qu’elles révèlent d’une époque. Celle qui impose deux heures supplémentaires aux enseignants du secondaire supérieur, sans revalorisation salariale, en fait partie. Officiellement, il ne s’agit pas d’austérité, mais d’« harmonisation ». En réalité, c’est l’équivalent d’un licenciement collectif sans indemnité de rupture, maquillé en réforme technique. Et plus encore : un aveu de renoncement politique.

Le langage de la dissimulation

Depuis des semaines, la ministre de l’Enseignement répète les mêmes formules : « aucun licenciement », « aucune baisse de salaire », « pensons aux générations futures ». Ce vocabulaire lisse tente de masquer un recul historique. Mais sur le terrain, chacun mesure l’ampleur du choc : davantage d’heures, moins de postes, plus d’épuisement.

Quand dix enseignants prestent deux heures de plus, un poste disparaît. Quand on maintient la rémunération inchangée pour 10 % de charge supplémentaire, c’est une baisse salariale déguisée. Et quand on invoque « les générations futures » pour justifier l’épuisement de celles qui les préparent, on oublie ce que signifie construire l’avenir.

On ne sauve pas un bateau qui coule en y ajoutant du poids. On ne parle pas d’efficacité quand on exige du travail gratuit. Et on n’appelle pas rationalisation ce qui abîme jusqu’à la raison d’enseigner.

La rigueur à géométrie variable

On nous dit que cette mesure serait « inévitable ». Mais dès qu’on regarde où vont encore les moyens, elle devient incompréhensible. Les rémunérations des directions du fondamental vont être augmentées. Le projet de CDI-enseignants, que le Comité d’experts juge « intenable budgétairement », est maintenu pour un coût estimé entre 500 millions et 1 milliard d’euros par an. Et pendant ce temps, les professeurs du secondaire devront travailler davantage pour le même salaire.

La ministre répète que « le salaire d’un enseignant sur cinq est payé à crédit ». C’est vrai, mais c’est un choix. Car la Fédération maintient des politiques coûteuses et en crée de nouvelles, tout en évitant de toucher aux vrais leviers d’équilibre.

Pendant qu’on demande à l’école des sacrifices, la Wallonie, sous les mêmes couleurs politiques, a réduit les droits d’enregistrement de 12,5 % à 3 %, privant les finances publiques de 250 à 300 millions d’euros par an, principalement au bénéfice des propriétaires et des investisseurs. De son côté, Bruxelles persiste dans un métro à plus de cinq milliards d’euros ; tandis qu’au niveau fédéral, la décision d’exonérer de cotisations patronales la tranche de salaire au-delà de 340 000 € renforce encore les inégalités contributives, pour un manque à gagner estimé à 65 millions d’euros. Certes, ces budgets ne relèvent pas tous du même niveau de pouvoir, mais la logique est identique : on fait ramer les matelots pendant que les armateurs sabrent le champagne.

La rigueur n’est pas une fatalité, c’est un choix. Et si avoir de la rigueur financière est certes une qualité, faire porter l’essentiel de l’effort sur une profession déjà en pénurie, c’est une punition collective à vie. Si l’on veut vraiment penser aux générations futures, il faut cesser de croire que l’on construit l’avenir en sacrifiant ceux qui le préparent.

Le faux débat budgétaire

Vient alors l’argument : « On ne peut pas travailler sur les recettes. » C’est faux sur le fond. Certes, la FWB n’a pas de fiscalité directe, mais elle dispose de leviers politiques : rouvrir la loi de financement, revoir les transferts entre entités, revendiquer une part du produit de la lutte contre la fraude fiscale, ou créer un bon d’État francophone pour mobiliser l’épargne privée sans dépendre des marchés.

L’argent existe : il a simplement été orienté ailleurs. Dire « on ne peut pas », c’est admettre qu’on ne veut pas.

Il ne s’agit pas d’attendre un Zorro venu à la rescousse. Derrière cette boutade de la ministre, on lit surtout un mépris tranquille : celui d’un pouvoir qui oublie ce qu’il prétend défendre, l’instruction.

L’école n’a pas besoin d’un héros masqué. Elle a besoin qu’on cesse de la voler à visage découvert. Les enseignants n’ont jamais refusé de participer à l’effort collectif. Ce qu’ils refusent, c’est qu’on fasse d’eux les seuls à payer la facture d’un système mal géré.

Des comparaisons trompeuses

Viennent ensuite les comparaisons internationales : « ailleurs, les enseignants prestent davantage ». Les comparaisons sont utiles, à condition d’être honnêtes. Ailleurs, les salaires sont plus élevés, le statut est reconnu, les classes sont moins peuplées, les équipes sont renforcées par des assistants pédagogiques, des psychologues, et des bâtiments adaptés. Sans ces éléments, on ne compare pas des systèmes : on juxtapose des chiffres décontextualisés. C’est comparer un coureur dans la boue à un coureur sur piste : le même chronomètre, pas la même course. Ou, pour le dire autrement : c’est comparer un enseignant dans un métro vide à un autre, écrasé à l’heure de pointe.

Autre argument : « le barème du supérieur est plus élevé ». C’est trompeur. L’écart brut entre barème 501 (agrégés universitaires) et 301 (bacheliers AESI) se situe autour de 20–25 %, mais le différentiel net après ancienneté descend souvent à 13 %. Le 501 exige cinq années d’études universitaires. À diplôme équivalent, le privé rémunère 30 à 40 % de plus, avec assurance groupe et nombreux avantages extra-légaux. Il n’y a pas de privilège, seulement une perte d’attractivité.

On nous dit encore : « les enseignants du supérieur ont déjà connu 20 à 22 périodes ». Ce souvenir oublie l’essentiel : ces heures incluaient guidance, remédiation, suivi individualisé, reconnus et rémunérés. Aujourd’hui, ces tâches subsistent sans être payées, pas même le titulariat. Et l’on a ajouté 60 heures annuelles de travail collaboratif non rémunéré. Ce n’est pas un « retour à avant » : c’est une dégradation supplémentaire.

Enfin, prétendre qu’il a été décidé de  « diminuer de deux périodes la charge de travail des jeunes professeurs (première année de carrière) et des professeurs de plus de 60 ans» prête à confusion : ils ne gagnent rien, ils conservent simplement leur charge actuelle. Ce n’est pas un allègement, c’est l’absence d’une aggravation. Le problème, lui, reste entier.

Le mythe du rapport des experts

La ministre s’appuie sur le rapport du Comité d’experts comme une caution morale. Or ce rapport ne recommande pas la hausse horaire : il la mentionne, sans la valider. Et surtout, le Comité développe une série d’autres pistes que le gouvernement a ignorées : réduire les écarts de taille entre les classes, limiter le nombre d’enseignants rémunérés mais non présents en classe, reconsidérer la durée hebdomadaire des cours, professionnaliser la gestion administrative et financière des écoles, mutualiser les fonctions de support entre réseaux ou encore fusionner les plus petites écoles.

Il invite aussi à revoir la répartition des barèmes et à évaluer la soutenabilité du projet de CDI-enseignants, jugé trop coûteux. Autant de chantiers jamais ouverts. À la place, on a choisi la solution la plus simple à annoncer et la plus brutale à vivre : faire payer ceux qui n’ont plus la force de se défendre.

Quant à la pénurie, le décalage est tout aussi frappant. Le rapport évoque surtout des leviers structurels : réduire les petites classes, augmenter certaines charges horaires, revoir des dispositifs de fin de carrière, sans jamais évoquer les conditions de travail réelles qui épuisent les équipes.

La seule phrase qui touche au quotidien des écoles tient en une ligne : « Une bonne ambiance dans l’école est un facteur important de réduction du risque d’absentéisme et de pénurie. » Si c’est cela le diagnostic des experts, on mesure le décalage entre la théorie et le réel.

Le prix humain

Derrière les tableaux Excel, il y a des classes : des enseignants encore plus fatigués, moins disponibles ; des suivis individuels interrompus ; des sorties de classe et des projets abandonnés.

Chaque heure ajoutée, c’est une heure de moins pour accompagner, écouter, encourager. Ce qu’on appelle « harmonisation », les élèves le vivront comme un appauvrissement. L’École tient sur des épaules qui ploient, mais pour combien de temps encore ?

Et les familles, elles, le paieront de plein fouet. Les plus aisées compenseront la pénurie par des cours particuliers, là où les autres devront subir. Les écoles privées feront payer ce que l’enseignement public ne sait plus garantir : des profs, du temps, du suivi. Et au bout de la chaîne, les mêmes inégalités réapparaîtront à l’université, où le minerval a presque doublé.

Ainsi se délite, silencieusement, le principe d’égalité des chances.

Ce que révèle cette réforme

Madame la Ministre, vous parlez d’« équilibre budgétaire ». Mais à quel prix ? Quand un système ne tient plus que par la fatigue de ceux qui le portent, ce n’est plus un équilibre, c’est une illusion. Si la Fédération Wallonie-Bruxelles ne peut plus financer ses enseignants, ce n’est plus une question d’heures : c’est une question de priorités. De ce que nous voulons, ou non, continuer à appeler une société.

Les enseignants ne demandent pas des privilèges. Ils demandent de la cohérence, du respect, et la possibilité d’exercer leur métier dans des conditions qui aient encore du sens. On ne résout pas une pénurie en épuisant ceux qui restent. Et on ne sauvera pas l’école en réduisant au silence ceux qui la font vivre.

Ce n’est pas une crise budgétaire, c’est une crise de confiance. L’école n’a pas besoin d’un plan de redressement comptable, mais d’un plan de survie collective. Car si vous trouvez que l’éducation coûte cher, essayez l’ignorance. Elle coûte bien plus qu’un déficit : elle ruine ce qui fait société.

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