« L’avocat demain » de Mes Hofströssler et Henry ! Not in my name…

version néerlandaisie ici:

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Mesdames, Messieurs les Bâtonniers,

Chers et honorés Confrères,  

Dans un discours prononcé le 16 juin 2017[1], consacré à « L’avocature de demain », le ministre de la Justice a notamment annoncé qu’ « après l’élaboration d’un plan de politique qui précisera les lignes directrices d’une "Court of the future" »[2] , il a « l’intention de (…) présenter l’an prochain une vision d’avenir pour les professions juridiques ».  

Il a précisé que son « ambition reste élevée » et que « le plan, qui passera les professions juridiques à la loupe, sera notamment axé sur le barreau ».  

Selon le ministre :  

« La réalité montre que la profession d’avocat ne se limite plus à l’assistance au client dans des conflits juridiques présentant des contours stricts. L’avocat évolue de plus en plus sur des terrains qui se développent hors du tribunal. Songeons par exemple à la médiation dans un nombre croissant d’affaires ou au nombre en augmentation des formes spécifiques de décisions prises par des autorités administratives. Ces nouvelles pistes, qui sortent de la piste judiciaire classique, nécessitent de disposer d’aptitudes particulières. Le groupe professionnel a également une responsabilité cruciale à assumer dans l’accompagnement de l’avocat dans ces aptitudes. Afin d’élaborer la vision d’avenir du et pour le barreau, j’ai désigné deux confrères pour m’assister dans cette tâche. J’ai demandé à Me Patrick Hofströssler[3] et Me Patrick Henry[4] de me présenter un plan comportant des idées sur les thèmes suivants : l’accès à la profession, un droit disciplinaire et une organisation de la profession qui soient contemporains, la collaboration entre les avocats et les autres professions juridiques et des initiatives destinées à moderniser l’offre de services et à améliorer la prestation de services[5]. Ces deux avocats de renom ont reçu de ma part la mission de soumettre leurs premières idées non seulement aux organisations professionnelles – l’OVB et Avocats.be – mais également à tous les avocats intéressés, qu’ils soient stagiaires ou bâtonniers, et aux acteurs de la justice ».  

Le Ministre a dès lors conclu en invitant tous les avocats « à leur transmettre (leurs) idées, réflexions, voire propositions concrètes de manière à ce que nous puissions engager le dialogue avec le plan en main ».  

Certains d’entre nous ont été invités à « partager » leurs idées avec Mes Hofströssler et Henry.  

Ce fut le cas de Me Nicolas Alaimo, qui a témoigné de cette expérience dans le numéro 121 de La Tribune[6].  

On peut retenir de son témoignage que les sujets qui préoccupent le plus les deux conseillers du ministre sont la possibilité d’association avec d’autres professions juridiques et l’extension du champ de nos activités.    

Soulignant de ce qu’il a entendu au cours de ces discussions qu’« il ne s'agit que de déréguler la profession pour permettre au capital de s'installer dans nos pratiques et de remplacer notre indépendance par de simples rapports de force économique ».  

L’objectif étant clairement de pouvoir « concurrencer la finance ».  

En qualifiant dans La Libre[7], d’« aubaine pour les cabinets d’avocats installés en Belgique » le dernier projet annoncé par le ministre de la Justice de « doter » Bruxelles d’un Tribunal de la Finance, pompeusement baptisé « Brussels International Business Court » - juridiction hybride réservée « aux grands conflits commerciaux entre entreprises à portée internationale » -, le Président d’Avocats.be, Me Buyle témoigne de la même préoccupation.  

Dans les deux cas, il s’agit d’une vision très orientée et restreinte des intérêts des « avocats installés en Belgique ».  

On nous fait peur avec les progrès technologiques pour nous pousser à accepter des réformes qui supprimeront, à court terme, toute indépendance et considération éthique de notre métier mais qui ne répondent ni aux enjeux que sont les monopoles de ceux qui détiennent ces progrès, ni à l'usage qui en sera fait.  

Se fondant sur des statistiques attestant que « l’input » dans les sections civiles des tribunaux fond comme neige au soleil, tout en admettant que ces chiffres « font froid dans le dos », Me P. Henry, affirme qu’à défaut de nous « diversifier », nous devrons « diviser nos effectifs par deux »[8].  

Pour ceux que la finance rebute, il resterait à se reconvertir en agent de joueurs de foot, en lobbyiste, en agent immobilier, en investisseur, etc.  

Or, si l’ « input » diminue, c’est le fruit d’une volonté politique poursuivie depuis son arrivée au gouvernement par le ministre de la Justice qui a décidé de résorber l’arriéré judicaire non pas en donnant à la justice les moyens d’y faire face, mais en éloignant radicalement les justiciables de la justice, ce qui va conduire, in fine, à sa privatisation.

Non sans une réelle ironie, dans le même numéro de La Tribune, un appel était lancé aux avocats pour s’engager bénévolement[9] en faveur de l’association européenne des avocats à Lesbos en vue de garantir le minimum d’assistance juridique à ceux qui en ont le plus besoin, les plus démunis de nos sociétés modernes et opulentes[10], les migrants.  

Lors d’une réunion-débat sur « la Justice en vérités », ce 11 octobre, Mes Hofströssler et Henry ont donné quelques informations sur la teneur du rapport qu’ils préparaient pour le ministre. Il ressort de cette « présentation »[11] :

-      qu’ils ont déjà décidé des lignes de force de leur avis mais refusent d’en dire plus pour le moment ;

-      qu’en fonction de leur public, ils insistent ou, au contraire, survolent plusieurs points, noyant leurs interlocuteurs sous de vagues menaces plutôt que de développer leurs idées précises ;

-      qu’ils n'entendent pas avoir un véritable débat – avec ce que cela implique de prise en considération des avis émis par leurs interlocuteurs – mais veulent donner l'impression d'avoir consulté la base pour pouvoir y trouver une légitimité ;

-      qu’ils sont convaincus que les questions d'accès à la justice sont des points sur lesquels il n'est pas possible de revenir : ce ne serait plus une question politique mais un fait.  

Selon Me A. Stievenart, « Après une heure de débat, les experts lèveront très timidement le voile sur certaines pistes de réflexions... en affirmant ne pas vouloir trop en dire »[12] !

Nous ne sommes en aucun cas rebutés par la modernisation de notre profession, ni aucunement réfractaires à l’impact de la révolution numérique sur celle-ci.  

Mais nous voulons affirmer que nos préoccupations pour l’avenir de notre profession ne sont pas rencontrées par les sujets actuellement abordés par les conseillers du ministre, ni par les projets du ministre d’une justice à deux vitesses, salués par le Président Buyle.

Notre première fonction, la seule qui justifie que notre profession existe et se distingue de toutes les autres, est celle de défendre.  

Défendre, tout le temps, toujours.

Contre l'appareil qui broie, déclasse, condamne.  

Contre l'injustice, contre les inégalités.  

Défendre l'Etat de droit et la Démocratie.  

Défendre contre le Pouvoir, quel qu'il soit.

Contre la majorité.  

Défendre la victime mais surtout le coupable.  

Si l’« input » fond, les litiges n’ont, à l’évidence, pas disparu. Pas plus que le besoin de justice.  

Le véritable défi pour notre profession est de maintenir une haute exigence de défense des droits dans une société qui cherche au contraire à remplacer le droit par la concurrence économique entre les Etats.  

Nous contestons les analyses qui passent sous silence et, pour finir, s’accommodent de la politique visant à congédier les justiciables des cours et tribunaux.  

Nous déplorons qu’après nous avoir invités, pendant tant d’années, à lutter, Avocats.be ait manifestement renoncé à la lutte – indispensable en cette époque de remise en cause de nombreuses valeurs essentielles à la démocratie – pour se contenter à chercher aujourd’hui, à tout prix, à rebondir.  

Le Président Buyle souligne, dans l'éditorial de La Tribune du 19 octobre, que « La contestation sans proposition constructive ne mène nulle part »[13]. Encore faut-il accepter d'entendre les propositions constructives. Elles ne sont pas le monopole de quelques uns. 

Face aux projets annoncés par le ministre, de « Court of the future » incluant une réforme  fondamentale de notre profession, et alertés par les lois déjà votées « à la hussarde » depuis deux ans, nous demandons que les Barreaux organisent une véritable concertation avec l’ensemble des avocats sur l’avenir de notre profession et que ce soit l’Assemblée Générale d’Avocats.be, en concertation avec l’organe homologue au sein de l’OVB, qui formule des propositions concrètes au ministre de la Justice et non deux « conseillers du ministre » qui, quelles que soient leurs qualités professionnelles et leurs compétences, n’ont d’autre vocation que de s’exprimer en leur nom.  

Luttons !

Signez la pétition      

 

[1]      www.koengeens.be/fr/news/2017/06/16/discours-l-avocature-de-demain

[2]      www.koengeens.be/fr/court-of-the-future

[3]      Anciennement associé de Koen Geens au sein du cabinet Eubelius dont il est actuellement le président du comité de management. Eubelius est un cabinet d’affaires bruxellois regroupant environ 135 avocats. Ancien administrateur de l’O.V.B.

[4]      Ancien président d’Avocats.be, associé au sein du cabinet d’affaires Elegis regroupant environ 80 avocats.

[5]      Le détail de la mission confiée à nos deux confrères n’a pas été rendu public. Dans une note intitulée « L’avocat demain : un plan pour la modernisation de notre profession », ils précisent qu’ils ont été chargés d’ « élaborer un plan pour la modernisation de la profession d’avocat, qui aura pour titre L’avocat demain. Il s’agit de dégager des propositions concrètes, pouvant, pour la plupart, être traduites en projets de lois. Parmi les thèmes qui sont sur la table : la multiprofessionnalité (possibilité d’associations interprofessionnelles avocats – notaires – huissiers ? création d’une juridiction disciplinaire commune pour ces trois professions ?) ; la formation professionnelle et le stage ; les incompatibilités et le périmètre de la profession ; la gouvernance de la profession ; la réforme du disciplinaire ; les actions collectives ; l’acte d’avocat ; la possibilité d’exercer en qualité de société ; la limitation de la responsabilité ; l’aide juridique (en confier certains pans à des avocats d’Etat ou « de barreau » ?) ; sans oublier, bien sûr, l’intégration des nouvelles technologies. La liste n’est pas exhaustive ». .

[6]      La Tribune, n° 121.

[7]      La Libre, 11 octobre 2017.

[8]      La Tribune, n° 121.

[9]      Quand on ne se diversifie pas dans la finance, il faut « rebondir » bénévolement !

[10]    Selon La Libre du 14 août 2017, 853 entreprises belges ont envoyé plus de 221 milliards d'euros vers des paradis fiscaux en 2016.

[11]    Voyez, pour un double compte-rendu critique de cette présentation, Anne Stievenart, "Quel avocat pour une justice en mutation ?", La Tribune, n° 122 et Cécile Dascotte, "Lettre ouverte sur l'avenir de la profession d'avocat", La Tribune, n° 122. Voir aussi le "Devoir de réponse" de Me Patrick Henry, dans La Tribune n° 123.

[12]    Anne Stievenart, "Quel avocat pour une justice en mutation ?", La Tribune, n° 122. 

[13]    "Faire et devenir... Le mot du président", La Tribune, n° 122.


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