Pour Matin

Il y a 6 ans, la jeune prof que j’étais a croisé la route de deux jeunes filles courageuses et méritantes dont les cernes étaient la preuve de leur travail d’arrache-pied. L’une, arrivée orpheline d’un pays africain où toute sa famille avait été assassinée, l’autre, arrivée avec sa famille d’un pays où il ne fait pas bon être une fille qui désire la paix, après avoir subi la peur et la répression quotidiennement ainsi qu’un voyage périlleux, avec un papa en très mauvaise santé. Elles ont travaillé dur pour comprendre et assimiler des matières dans une langue qu’elles avaient commencé à apprendre seulement quelques mois auparavant, j’ai appris à bien les connaitre, elles qui étaient si respectueuses et si demandeuses d’apprendre. La première a été renvoyée dans son pays au bout de 2 ans et n’a jamais donné de nouvelles (elle m’avait promis de trouver un moyen de m’en donner si elle survivait assez longtemps pour cela). Ce n’est qu’une parmi tant d’autres, me direz-vous, car je pourrais vous parler de mes nombreux étudiants adultes du centre Fedasil que la Belgique a osé renvoyer en Afghanistan, en Irak, en Iran, au Pakistan, en affirmant que leur région était sure maintenant (j’aurais envie d’ajouter « LOL » si mon statut de professeur de français ne m’en empêchait pas). La seconde avait, je le pensais, eu plus de chance, elle qui, malgré la longueur des trajets et la difficulté, venait d’intégrer l’école supérieure artistique dont elle rêvait. Erreur. Lisez ce que Matin Jamei m’a écrit la semaine dernière :                                                                                                                                                « Je vous souhaite une bonne année ! :(Si vous voulez la vérité, je suis très mal, il m'est arrivé pleins de choses pendant ces derniers temps. Mon père est hospitalisé depuis le 28 novembre 2013 jusqu'à présent, ça fait 43 jours qu’il n'est plus chez nous,:'( je sens fortement son absence, je m'inquiète beaucoup pour sa santé. Le 18 décembre, on a eu une réponse négative et aussi l'ordre de quitter le territoire belge alors qu’on devait normalement recevoir une carte définitive après avoir habité 7 ans en Belgique. Depuis notre arrivée en Belgique, après avoir subi plein de difficultés, avoir été pendant 1 mois au centre fermé de Zaventem, avoir vécu pendant 2 ans dans une toute petite chambre avec toute la famille au Centre Fedasil où on se sentait mal et pas en sécurité pour dormir ou même pour une simple douche, tout en continuant à suivre les cours avec les difficultés que cela comporte, nous ne nous sommes jamais plaints. On avait obtenu un titre de séjour temporaire pour 1 an, qu'il fallait renouveler pendant 3 ans en envoyant les documents (les rapports médicaux de mon père, des attestations scolaire pour moi et ma petite sœur, une composition de ménage) à l’office des étrangers. Après avoir eu mon diplôme au mois de juin avec des beaux résultats, j'ai réussi mes examens d’entrée parmi 75 personnes. Mon titre de séjour était valable jusqu'au 6 octobre 2013, vu les problèmes qui ont suivi, on m’a annoncé que je serais rayée sur la liste sans les documents nécessaires. Je leur ai expliqué que, malgré mes démarches administratives, c'est l'office des étrangers qui décide et que je ne pouvais rien y faire, mais comme je suis rentrée en pleurant et que j’ai dû expliquer la situation à mes parents, mon père a vu que j'étais vraiment triste car pour moi c'était une chance que je ne voulais absolument pas perdre vu que ces études ont toujours été mon rêve, il a fait des paniques suite à cela, lui qui a déjà le cœur abimé (le stress de l’attente et de l’insécurité vécues pendant plusieurs mois avant de pouvoir enfin vivre ici, à Nivelles, n’avait rien arrangé), jusqu'au jour où on l’a amené à l'hôpital. Il est aussi diabétique depuis l'année passée et en souffre de plus en plus ; normalement, il aurait certains droits pour ses traitement médicaux pour son diabète mais la mutuelle nous fait beaucoup de problèmes administratifs et ce sont donc de gros frais pour nous, vu que même le C.P.A.S. ne l’aide pas alors qu'il devrait bénéficier de certains aides... La décision de l'office des étrangers à été prise le 10 décembre alors que l'avocat avait déjà envoyé un certificat médical comme quoi mon papa était hospitalisé (et ils l'ont bien reçu). Nous n’avons reçu la décision que le 18 décembre et comme c’était la période de fêtes, malgré qu’on partait, téléphonait, etc., ni l’assistante sociale, ni l'avocat, ni les administrations ne nous ont jamais répondu ou reçus. L’avocat nous avait affirmé faire appel le 19 décembre et demander au CPAS de continuer à nous aider à vivre mais apparemment, rien n’a été fait, nous n'avons plus droit aux aides sociales. Mon père hospitalisé, on est 3 femmes tout seules à gérer tout, sans argent ni rien. Je passe mon temps à courir à gauche et à droite pour me faire aider, je consacre mon temps pendant presque toute la journée à chercher et dans la loi pour pouvoir trouver ce qui nous aiderait, tout en essayant de continuer à étudier de mon mieux, c’est un vrai cauchemar. On a pensé qu'on allait avoir une vie tranquille ici en Belgique, on ne voulait pas plus ; on est des gens respectueux, calmes, on n’a jamais fait mal à quelqu’un, mes parents nous ont toujours appris à respecter la culture, les coutumes, la langue, la tradition, la loi belges. J’ai fait mon maximum pour pouvoir m’intégrer et maitriser la langue, j’ai toujours été une personne correcte mais est-ce juste que la Belgique nous fasse ça en retour ? :( Jusqu'à quand doit-on subir cela ? Je n'en peux vraiment plus,:'( j’ai perdu des kilos, ma famille pareil, le docteur dit que je suis en pleine dépression et que les insomnies n’aident pas… :Voilà un peu mon histoire en résumé. Je suis vraiment désolé de avoir vous écrit autant. Merci pour tout. »

Sans vous parler d’un étudiant irakien qui s’est fait tuer à son arrivée à l’aéroport, de la famille afghane qui vient de quitter le territoire après 5 ans d’attente, de mon mi-temps en promotion sociale que je vais perdre vu que mes étudiants s’en vont les uns après les autres, de l’I.L.A. de Mettet qui vient de fermer en entrainant plusieurs travailleurs sociaux au chômage, et sans mentionner les innombrables problèmes et actes inhumains que cette politique trop stricte engendre, puis-je simplement attirer votre attention sur cette jeune demoiselle que vous voudriez renvoyer en Iran après qu’elle ait fait tant d’efforts ? Je sais qu’ « on ne peut pas accepter tout le monde », bien sûr, mais peut-on pour autant « renvoyer tout le monde vers le néant » ?

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Aurore Vandorselaer    Contacter l'auteur de la pétition